Tadej comme Fausto, Jacques, ou Eddy

par | Juil 28, 2021 | Editos

Depuis sa nouvelle victoire sur le Tour de France, Tadej Pogacar fait l’objet d’une insupportable campagne de dénigrement made in France. Alors que le Monde salue le jeune prodige slovène…
A croire que depuis Paris, la vision de l’histoire du cyclisme soit considérée par le petit bout de la lorgnette. Et que tout nouveau champion soit obligatoirement suspect s’il n’est pas français. Pathétique et injuste. Surtout au pays de l’Affaire Festina.
Tadej Pogacar

T u verras Salvatore, ce Tadej Pogacar est du calibre des plus grands. Il roule et il grimpe comme un avion. C’est bien simple, il me rappelle Anquetil ou Merckx au même âge. Souviens toi de ce nom. Pogacar ! »

Au tout début de l’année 2020, j’ai l’impression qu’il y a un siècle, mon vieil et immense ami Ernesto Colnago me recevait une fois encore dans son mythique bureau de Cambiago. Et tout en pestant contre la pandémie de Covid qui le contraignait à porter un masque comme un Chinois, il me parlait d’un jeune coureur inconnu de 20 ans qui allait faire ses grands débuts dans le Tour. Littéralement enthousiaste, le Maestro se disait certain de son fait. Il avait ses informateurs et il avait vu Tadej Pogacar littéralement assommer ses équipiers lors d’un stage d’avant saison avec le team UAE.

Évidemment j’avais souri devant les affirmations d’Ernesto. Et j’avais ramené notre discussion sur les spécificités du nouveau joyau de la marque au trèfle, le V3 rs. Le félicitant pour avoir préservé le choix du type de freinage sans imposer le sacro-saint disque qu’il avait pourtant été le premier à proposer sur un vélo de route.

Quelques mois plus tard, le Tour de France, reporté du 29 aout au 20 septembre pour cause de pandémie, voyait s’imposer Tadej Pogacar à l’issue d’un contre la montre d’anthologie.
« Un feu de paille ! Un coup de chance incroyable ! Encore une étoile filante ! Roglic s’est fait avoir… »

Sur le Net, les commentaires allaient du sourire entendu au doute, en passant par l’évocation de la chance ou du hasard. Sauf en Italie. Sauf en Allemagne. Sauf en Suisse. Sauf en Espagne. Sauf en Grande Bretagne où l’on pouvait pourtant déplorer l’absence du quadruple vainqueur de l’épreuve, Chris Froome. La France seule, déjà, relativisait à outrance la performance du nouveau champion slovène.
Ernesto Colnago accueille Tadej Pogacar à Cambiago

« Un Slovène, vous imaginez… »

Pogacar sur le Ventoux
Un an plus tard, après un début de saison impressionnant qui le voit s’imposer tout à la fois dans Tirreno Adriatico et Liège Bastogne Liège où il bat au sprint le Champion du Monde Julian Alaphilippe, Tadej le magnifique survole le Tour où il remporte trois étapes d’anthologie.
Cette fois c’est le déferlement d’attaques et d’insultes. La France cycliste du Net enfile les doutes et les contre-vérités comme des perles. Avec en guise d’argument fatal le fait que figure dans l’organigramme de son Team UAE, rien moins qu’un ancien dirigeant du Cobra maudit, Riccardo Riccò. Comme si dans les équipes françaises ne figuraient aucun ancien coureur ou dirigeant marqué du sceau du dopage.

Pogacar qui aime la France et rêve de venir y passer des vacances en famille, ne comprend pas. Et au fond il s’en moque un peu alors que partout les louanges pleuvent qui le comparent déjà aux plus grands. D’ailleurs il ne songe déjà qu’aux JO de Tokyo où il va se classer « seulement » 3ème après avoir marqué le final de l’épreuve par une attaque dévastatrice et avoir laissé partir Carapaz pour cause de marquage avec Van Aert.
C’est sa mère, adorable et francophone, qui s’insurge à sa place.
« Que savent-ils de mon fils tous ces gens qui l’insultent. Que connaissent-ils de notre vie et des sacrifices consentis par Tadej qui dès ses débuts dans le cyclisme a réalisé des prodiges. »

Ernesto Colnago, philosophe et bougon, invoque une ignorance crasse de l’histoire du cyclisme. Et il rappelle avec justesse que les plus grands se sont toujours révélés jeunes.
« Un super champion comme un grand artiste, ne se fabrique pas. C’est la nature qui le dote de capacités hors-normes qui lui, permettent d’être supérieur aux autres. Dans le vélo comme dans la littérature, la peinture ou la musique. La nature ne nous faits pas égaux. Et dans le domaine du vélo on ne manque pas d’exemples de surdoués devenus d’immenses champions. A commencer par Eddy Merckx. Tu crois qu’il a attendu 25 ou 26 ans pour se révéler ? A 19 ans il était déjà Champion du Monde ! »

Tadej Pogacar
Coppi et Anquetil en 1953
L’Histoire vient confirmer les affirmations d’Ernesto Colnago. Et démontrer le ridicule et même l’absurdité des critiques déferlant sur un Tadej Pogacar qui pourrait bien être, sinon un nouveau Merckx, le dominateur des saisons à venir.
Songeons par exemple au Campionisimo Fausto Coppi vainqueur de son premier Giro à 20 ans. Et recordman de l’heure à 21. Un Coppi envoyé faire la guerre par Mussolini, et donc absent de pelotons durant des années, qui signe son retour par une inimaginable échappée de 150 kilomètres dans le Milan San Remo 1947 qu’il va rempoter avec 14 minutes d’avance. Fausto Coppi dominateur sur route et sur piste, grimpeur de légende et rouleur d’exception. Fausto Coppi qui sera le premier à réaliser le doublé Giro-Tour.
Songeons au sublime Jacques Anquetil, ce maître du temps qui remporte en 1953, à tout juste 19 ans, son premier Grand Prix des Nations contre la montre sur 140 kilomètres. Ce Grand Prix des Nations, alors considéré comme le mondial du chrono, le seigneur normand le remportera à 9 reprises. La dernière fois en dominant Felice Gimondi et Eddy Merckx. En s’adjugeant auparavant 5 Tours de France, 2 Tours d’Italie et 1 Tour d’Espagne. Avec en prime le record de l’heure et l’incroyable doublé Dauphiné-Bordeaux Paris.
L ‘histoire parle. Et permet souvent de relativiser. Avec Tadej Pogacar, Remco Evenepoel, Wout Van Aert, Mathieu Van der Poel et Julian Alaphilippe, elle nous propose un nouveau chapitre enthousiasmant. Au diable les ignorants et les cons !
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