Bikingman 555 Vercors
Nouveauté au catalogue cette année, le Bikingman 555 se place comme un ovni des courses d’ultracyclisme.
Boucler 500km en 55h, avec au menu 100km de gravel et 12000m de dénivelé positif.
On ne peut pas qualifier cette épreuve d’accessible, ni d’épreuve extrême. Les « pionniers », comme aiment les appeler Axel Carion et Philippe Join Lambert, respectivement organisateur et traceur de l’épreuve, ne savaient pas dans quel type d’aventure ils s’embarquaient ce vendredi 28 juillet à midi.
Au briefing avant le départ c’est un mélange d’ambiances, chacun a son interprétation de l’épreuve. Pour tous c’est un demi bikingman-Origine, pour certains ce sera une balade, pour d’autres l’épreuve fait peur par sa densité verticale, le ratio est équivalent au Bikingman-Origine X ( l’épreuve la plus dure de France avec 26500m de dénivelé pour 1000km) et surtout quid des portions Gravel ?
Sur le papier 80% de route et 20% de gravel, certains sont tentés de partir en pneus slick pour avaler ces liaisons de poussière entre les cols routiers. Mais voilà nous sommes dans le Vercors et l’organisation a imposé les pneus en 40, de quoi faire voler en éclat les certitudes d’avant course et semer le doute dans la tête des participants.
Pas une goutte d’eau depuis des semaines et le départ est donné sous la seule ondée carabinée de l’été. « C’est injuste » clame Philippe, même si comme nous il se réjouit de cette bonne nouvelle pour la planète.
La première ascension se fait sur route, dans le peloton tout le monde rigole, la famille bikingman est bien réunie, seuls 2 ne sont pas finishers d’au moins une épreuve, Christophe Aubonnet, un des créateur de la marque HOKA ONE ONE, habitué des ultratrail, raideur depuis des décennies et finisher de la RAF, découvrira le gravel d’ici quelques KM (il a reçu son vélo la veille) et Jérôme, qui n’a jamais fait plus de 100km et qui a découvert le gravel 15 jours avant l’épreuve.
La première descente, celle de château Julien, mettra tout le monde au pas, la pente et la boue creusent instantanément les écarts et mettent en lumière les pilotes chevronnés des rookies. Sortie de cette section gravel (empruntée par toutes les courses VTT qui se déroulent sur le plateau) les pilotes prennent conscience que les portions gravel ne seront pas des routes blanches avec un beau gravier concassé, mais bel et bien du gravel de montagne, engagé et ultra physique.
De quoi immédiatement cogiter sur la longue portion de route qui se profile, peut être que ce demi bikingman ne sera pas si reposant que ça. Le rythme s’adapte donc au futur chantier à venir.
Le parcours bascule sur la vallée de st Marcellin par le tunnel des écouges, à faire absolument si vous allez dans le Vercors. Un crochet, juste pour savourer les seuls 10km de plat de la course et pour le plaisir d’enchainer 2000m de d+ en 30km. L’entrée dans le Vercors se fait par une bosse de 450m de d+ avec des pourcentages oscillants entre 13 et 20% pour arriver du côté de Presles. Deuxième section « gravel », en descente sur un signletrack plongeant à plus de 20% dans la forêt. C’est confirmé les sections off road seront intenses, techniques et cassantes. Certaines passent à pied, et les funambules font découvrir de nouvelles limites à leurs vélos.
Le parcours rebascule dans la vallée que nous avons quittée plus tôt afin de nous faire prendre l’intégralité du col de la machine via St Jean en Royans, dernier ravitaillement possible avant la nuit, dernier stop avant de retrouver la civilisation 12h plus tard à Die.
Le col de la machine est un col mythique du Vercors, le plus aérien, la combe laval qui le transperce à travers la roche procure une étrange sensation, entre confiance et vertige, ceux qui ont la chance de la passer de jours garderons son empreinte à vie dans un coin de leur tête.
Etonnamment, la portion gravel en haut du col pour rebasculer sur la vallée est belle, lisse et les pilotes l’avalent sur une cadence infernale. Dommage c’est déjà fini, et les pilotes basculent dans la même vallée pour partir à l’assaut du col de la Bataille avec en dessert au sommet, 20km de gravel de montagne. Il est 23h, il fait nuit noire, la « bataille » peut commencer.
La piste est caillouteuse mais lisse et très originale, on devine qu’on se trouve à flanc de montagne et on aimerait être en plein jour pour profiter du paysage. Mais rien ne vaut une nuit sur le vélo pas même un beau panorama alors on plonge dans la nuit noire et dans les alpages ou le GPS s’affole. Nous rejoindrons la station de ski de fond d’Urle pas des pistes forestières éprouvantes par leurs pourcentages et pas leur irrégularité. Une sensation de déjà vu, comme une situation qu’on a déjà connu sans pouvoir l’identifier. Cette sensation, en plein forêt, sur une piste peu accueillante et une grosse notion d’orientation, c’est une situation déjà vécu en ultra trail, quand la nuit, hagards il faut chercher le sentier à la lueur des frontales. Cette portion laissera des traces et on peut maintenant se laisser glisser sur le Check point de la Chapelle en Vercors. Une dernière bosse sur route défoncée au-dessus de Vassieux, un passage ultra technique très original et nous rejoignons le CP par un enchaînement de routes de campagnes et pistes roulantes, un régal.
Après une pause salvatrice au CP il est temps de repartir direction le col du Rousset qui nous fera basculer sur Die, il est 4h du matin, l’ascension de ce col est belle et roulante. Raté, le parcours longe bien la route quelques mètres plus haut et là ce sera portage et progression lente dans un labyrinthe de chemins forestiers défoncés pour ce petit déjeuner matinal. On peste, on glisse, on piétine, on sursaute quand les patous apparaissent en nous hurlant dessus au détour d’un arbre dans l’enclos des bêtes. Qui dit patous, dit prédateurs, de quoi rajouter un soupçon de danger et on se prend pour d’un coup pour Mike Horn, on commence à deviner les intentions des organisateurs, et on bascule dans un autre mode, celui de l’aventure et plus celui d’une simple course de gravel.
La descente sur Die est vertigineuse, avec l’aube et le vent il y a quelque chose d’inquiétant, surement car auparavant nous avons été déstabilisés par la section du col du Rousset.
L’arrêt à Die est obligatoire, il n’y aura aucune supérette ni boulangerie avant Vif, 100km et 2000m de d+ plus loin.
Une longue portion de route nous attend, le col de de Menée n’est pas très haut mais entre son approche en faux plat vent de face et son ascension il faudra 30km pour en venir à bout.
A mi col c’est le début d’une énorme claque qui durera 80km. Le soleil se lève sur les balcons du Vercors et le col de Menée, très minéral sur le haut, est splendide.
La descente sur l’autre versant mène rapidement du pied du mont Aiguille, pour les passionnés de montagne c’est une moment extrêmement émouvant, c’est tout simplement la première montagne à avoir été escaladée, la même année que la découverte de l’Amérique. Depuis le début de l’épreuve nous évoluons dans des topographies hostiles, nous sommes obligés de réfléchir pour ne pas nous perdre ou nous mettre en danger. Le mot pionniers lancé au départ qui nous faisait sourire prend tout son sens, ici à cet endroit précis, au pied d’une petite chapelle à Trezanne.
C’est un privilège de rouler ce col, exigeant, cassant, avec de forts pourcentages, mais il tourne autour du mont Aiguille qui nous délivre toutes ses facettes et ses voies plus engagées les unes que les autres. Privilège car il est interdit de passer dans ce secteur en course. Or c’est là toute la force des courses organisées par Bikingman-Origine, nous faire emprunter des endroits exceptionnels en toute légalité, car l’organisation aura reçu toutes les autorisations du parc naturel régional, du Vercors, de Villard de Lans et le l’ONF pour rouler dans cet écrin. Pas de gravel sauvage, nous ne sommes pas là pour souiller la nature. Alors oui, on peut critiquer l’état et sa lourdeur administrative mais les Parcs naturels et l’ONF sont là pour protéger le patrimoine, la faune, la flore et imposer des limites aux organisations et permet quelque part de protéger l’avenir de nos enfants.
La trace évolue sur les balcons du Vercors pour plonger sur Vif, forcément par des pistes assez peu roulantes, nous goutons sans limite la spécialité locale du Vercors : le caillou.
Arrivés dans la vallée au niveau de Grenoble en début d’après-midi, il fait chaud et il faut remonter sur le plateau. Les traceurs ont déniché une ancienne voie de trame pour remonter sur St Nizier, les restes de ballaste rendent cette montée technique et éprouvante, la fatigue aidant cette portion est mal vécue alors qu’en début de course elle aurait régalé tout le monde.
On peut parler de chemin de croix, mais pour ceux qui s’étaient économisés pour ce dernier gros bloc, ce sera précisément là où le podium sera remanié, Florent Dumas, 3ème dans le dur se voit rattrapé par FX Plaçais qui avait bien anticipé cette fin de parcours, Maxime Prieur lui demeurera intouchable du premier au dernier mètre. C’est le juge de paix de cette course, on y paye les efforts superflus et on y récolte les fruits de sa gestion depuis la veille.
La fin se fera sur le plateau, alternant route et gravel alpin et l’arrivée au cœur du village de Villard de Lans a des airs de fête et fait oublier le mal aux jambes.
Secoués, heureux d’en finir mais avec cette sensation d’avoir dompté la montagne, d’avoir vécu une aventure avec un A majuscule. Nous repartons avec ce sentiment d’avoir vécu ensemble une grande première.
Avec le 555 nous venons d’assister à l’éclosion d’un nouveau type d’épreuve, sur le papier 80% de route pour 20% de gravel laissaient envisager une épreuve roulante, mais les 20% de gravel ont occupé 50% du temps, il n’en fallait pas 1 mètre de plus.
A noter l’extrême minutie du tracé, on sent que chaque cm a été reconnu, que chaque route a été optimisée, hormis 2 ou 3 axes fréquentés (environ 25km) sur tout le reste du parcours nous nous sommes fait doubler par moins de 50 voitures, sur 500km c’est totalement inédit.
Maintenant que la finish line est passée, il faut envisager ce 555 comme une course sélective, où l’on ne se ménage pas, où l’on prend des risques, et pas comme un demi Bikingman. Il s’inscrit dans la lignée des grands trails de haute montagne mondialement connus et plébiscités pour leur difficulté, leur verticalité et leur aspect aérien. La route et le gravel forment un couple fusionnel, ils nous captent comme une bonne surprise au gré de notre progression. C’est une véritable épreuve de montagne sans pour autant passer les pilotes au broyeur, on prend un plaisir fou à avaler le bitume et à descendre des cols en mode tour de France, et l’off road reconnecte à la nature. L’équilibre est trouvé il ne fallait pas un ingrédient de plus dans la recette.
Le 555 conforte tant il déstabilise, il nous fait capitaliser sur nos forces, pointe nos faiblesses, et c’est à chacun son tour d’y passer.
Pour rester sur ce parallèle avec l’utratrail, on constate que c’est une épreuve où les élites seront forcément mis en difficulté. A l’arrivée les protagonistes du podium, Maxime Prieur 1er, FX Plaçais 2ème, Damien Corbi 3ème discutent du parcours qui leur a donné du fil à retordre et sont désarçonnés par ce nouveau format. A l’arrière Jérôme Dakari, lanterne rouge, 2 ans de vélo dans les jambes et premier ultra, première sortie de plus de 100km, nous confiera à l’arrivée que maintenant il se sent invincible, qu’il a été plus loin que ses limites qu’il pensait infranchissables que cette épreuve sera un tournant majeur dans sa vie. Une version plus édulcorée n’aurait jamais permis à ces finishers de garder ce souvenir indélébile gravé à vie. Comme s’il avait roulé une épreuve fondatrice dans leur carrière de cyclistes aventuriers.
La seule conclusion à cela est : vivement le prochain 555 !
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