Alaphilippe, orage et désespoir
Il est des moments de l’histoire du cyclisme où le journaliste sportif peut et doit se poser la question qui s’impose. Fut-ce en contradiction avec les décisions officielles des organisateurs ou des commissaires. Ce fut notamment le cas lors des kafkaïennes décisions fédérales à propos de la non homologation du mythique record de l’heure de Jacques Anquetil en 1967. Pierre Chany avait alors évoqué ses doutes…
Bien plus actuel, voilà le doute majeur de notre confrère Guillaume Di Grazia qui s’interroge sur la cataclysmique journée du 26 juillet 2019 et cette étape de l’Iseran arrêtée par l’organisateur ASO suite à un incroyable orage de grêle ayant causé une coupure de la route à une vingtaine de kilomètres de l’arrivée à Tignes. La faute à l’orage de grêle et à une infranchissable coulée de boue.
L’organisation et le jury des commissaires peuvent à ce moment prendre quatre décisions :
-modifier le parcours,
– déterminer une neutralisation temporaire de la course,
– arrêter l’étape puis donner un nouveau départ,
– annuler l’étape.
Oui annuler l’étape ! Ce qui laisserait alors le Français Alaphilippe en jaune. Probablement jusqu’à Paris puisque nous sommes à la fin d’un Tour de France jusqu’alors enthousiasmant.
Voilà l’objet du livre-enquête que Di Grazia vient de publier chez Mareuil Editions. Un ouvrage qui nous replonge en direct live dans ces mêmes conditions d’improvisation et d’urgence qui furent celle de l’équipe d’Eurosport ce 29 juillet 2019 entre 16 h et 17 h.
Minute après minute nous voici replongés dans le vertige qui fut celui des commentateurs, des organisateurs et naturellement des coureurs et de leurs directeurs sportifs.
A 6 kilomètres du sommet de l’Iseran, le toit du Tour avec ses 2764 mètres d’altitude, voici les survivant de l’échappée du jour. Il y a le grand Vincenzo Nibali qui mène la danse pour son équipier Damiano Caruso en quête de points pour le classement de la montagne. Et il y a aussi les Champions du Monde et de France Alejandro Valverde et Warren Barguil.
34 secondes plus bas voici le groupe maillot jaune. Avec Alaphilippe qui se bat comme un hussard et surtout les boys du rouleau compresseur Ineos.
Personne ne se doute de ce qui se passe au pied de la dernière grimpée du jour qui doit les emmener vers Tignes. Un impressionnant orage de grêle qui va provoquer un véritable glissement de terrain obstruant la route en empêchant la course de passer.
A 5 kilomètres du sommet, Bernal attaque, profitant du travail de ses équipiers. Alaphilippe perd pied. Peu à peu il cède des poignées de secondes. Le jaune s’efface devant le blanc. Les maillots vont peut-être changer de porteur…Peut-être. Car Christian Prudhomme, boss du Tour et décisionnaire final avec le commissaire international Gianluca Crocetti, peut très bien alors décider d’annuler l’étape. Ce qui laisserait Alaphilippe en jaune et Bernal en blanc.
L’option retenue sera hélas celle de juger l’arrivée au sommet de l’Iseran où Alaphilippe passe avec plus de deux minutes sur Bernal. L’histoire est entendue. Le maillot jaune change de titulaire. Alaphilippe ne gagnera pas le Tour…
Orage et désespoir !
Avec un rythme prenant et poignant, Guillaume Di Grazia nous offre un authentique et passionnant Polar sportif.
« Orage et désespoir »,
par Guillaume Di Grazia
Mareuil éditions.
220 pages, 19 euros.