L’ADN en question

par | Nov 7, 2019 | Point de vue

Je lis les propos de l’éminent Paul Bracq dans la revue Octane dédiée à l’automobile et j’y retrouve là matière à réflexion. Transposer ses propos au cyclisme ne me paraît pas incongru, où est bien passé l’ADN de nos machines ?

Après avoir perpétué l’ADN de Mercedes avec la cultissime Pagode, Paul Bracq a officié chez BMW. Ses faits d’armes chez le constructeur de Munich sont notamment les premières Série 3, Série 5, Série 6 et Séries 7. Ou comment se forger une identité forte…

Et ma double passion vélo-automobile fait que pour moi une marque doit se forger une identité au fil des ans. Ça n’est pas de moi, toujours de Paul Bracq.
Mais en cherchant, où est l’identité chez les marques de vélos de premier plan ?

Il faut bien l’avouer, tous les vélos se ressemblent. Sans peinture, sauriez-vous distinguer un Rose d’un Specialized ? Un Bianchi d’un Scott ?
Fini le temps des pantogravures et autres raccords en arabesques qui distinguaient un vélo spécial au milieu de tous les autres. De nos jours on rêve devant une peinture aux effets pailletés. Du toc au prix de l’or !

Au même titre que les SUV aujourd’hui, et je cite encore une fois Paul Bracq, les SUV ne sont pas seulement inutiles et gras : l’ADN des marques qui s’y frottent s’y dissous, les dernières générations de vélos aérodynamiques ont vu les constructeurs proposer des machines toutes plus semblables les unes que les autres. Ajoutez à cela des peintures sans âme et vous voilà avec le vélo de monsieur-tout-le-monde. Ces machines vendues 10 000 euros, je vous vois et je vous entends vous racler la gorge, un vélo au prix d’une voiture !! Oui et un vélo sans âme, construit à l’autre bout du monde et à la peinture à l’eau.
J’exagère mais vous m’avez compris.

Le plus tragique est que même les marques historiques ont en partie perdu ce qui entretenait la flamme chez le pratiquant passionné. Le celeste chez Bianchi trop vintage, l’électrique chez Colnago pour séduire une nouvelle clientèle, le fait-main français chez Time parce que la marque ne peut plus se le permettre et le visionnaire chez Cervelo qui a perdu Gérard Vroomen.

Comment vieilliront les vélos actuels ? Quelle sera leur côte dans 10 ans ? Verra-t-on des Venge ou des Foil dans les musées ? Seront-ils un jour considérés comme des objets de collection ? La question se pose à l’heure où une 205 GTI frôle les 15 000 euros et un cadre Supercorsa les 1 500 euros. J’ose déjà répondre que non. 

À partir de là, tout va mal. Les nouveaux arrivants dictent le marché en élevant les tarifs et en proposant des vélos pour plaire au plus grand nombre. Tirer vers le bas pour ne pas prendre de risque ? C’est un peu ça… Et je vous remet d’une énième série spéciale (sitôt oubliée le lendemain de sa sortie) vendue au tarif d’un authentique meuble Le Corbusier.

Finalement je comprends les acheteurs de Canyon et autre Origine, ils en ont pour leur argent. Et ces marques qui ne prétendent pas révolutionner le vélo proposent des produits au même niveau que celles se targuent d’être les meilleures ! Meilleures de quoi ? À l’heure ou la passion a quasiment disparu, s’acheter tel ou tel grand coureur suffit à s’asseoir une légitimité. Aux yeux de qui ?

Mea culpa, ceci n’engage que moi. Sans plus de réflexion, je pars rouler, avec mon Parlee Z-Zero. On ne réécrit pas l’histoire.

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