Gérard Abadie, le collectionneur
COLNAGO FOREVER
Il est sec comme un homme de la terre catalane, disert et aimable comme un homme de la terre catalane, passionné ou rêveur comme un homme de cette terre catalane, rugueuse et ventée, dont il se réclame à chaque mot prononcé avec l’accent chantant des compatriotes de Charles Trenet. Gérard Abadie, en bon sudiste, a plusieurs vies à son actif. Des vies laborieuses et sportives. Marquées par le travail attentif et l’attachement aux valeurs.
Entrepreneur et pilote automobile d’abord. Avec succès. Dans le pilotage de sa société comme dans celui de sa Norma M 20. Cette pistarde artisanale construite par Norbert Santos, un artisan génial devenu son ami.
Puis vient le temps du vélo. Comme simple adepte du sport cycliste. Puis comme passionné de l’objet vélo lui-même. Et enfin comme collectionneur compulsif devenu le chantre de la marque au trèfle. Au point d’en compter plus de 200 dans sa collection. 200 chefs d’œuvres ayant pour la plupart une histoire singulière. Pièces uniques ou rares. Vélos ayant été utilisés en course par des coureurs professionnels, tel le dernier venu, un C64 du team Emirates marqué du nom de Conti.
Notre collectionneur se double d’un expert en mécanique. Témoin cet atelier d’anthologie installé chez lui. Comme un quartier général, un service course, où chaque nouveau vélo est examiné, vérifié, magnifié avant de rejoindre la collection.
Ce contact direct avec la machine, ses composants, Gérard Abadie le juge essentiel. Il veut comprendre chaque machine. Éventuellement lui apporter les soins attentifs nécessités par son état. La remettre le plus souvent dans son état originel. En puisant dans son impressionnant stock de pièces originales chinées partout dans le Monde. Essentiellement des composants Campagnolo de la haute époque. Record ou Super Record des années soixante ou soixante-dix. Tout, absolument tout est ici disponible. A en faire rougir les amis de Campagnolo.
Pour Gérard il n’est pas question de se contenter banalement d’accumuler des vélos. Il veut comprendre chaque machine. Connaître son histoire. Analyser sa place dans l’incroyable histoire Colnago. Comprendre son fonctionnement. Mettre en œuvre les soins les plus attentifs pour la sublimer et enfin lui restituer sa grandeur de vélo d’exception.
« Acheter des vélos pour acheter des vélos n’a aucun intérêt pour moi. Je suis comme un collectionneur d’art en quête du tableau manquant à sa collection. Je connais l’histoire et j’intègre chaque épisode de la vie du vélo acheté dans le contexte de son époque. Et je veux être capable non seulement de comprendre et d’émettre un diagnostic mais aussi de corriger, de soigner, de remettre en état d’origine. Un plaisir et un devoir dès lors que l’on parle d’un vélo signé Colnago. »
« Les autres, siglés Gios Torino, Pinarello, De Rosa ou Bianchi, servent de références. Colnago n’était pas seul à illustrer l’âge d’or du cyclisme. Même si selon moi il est de loin le plus grand. Celui qui seul a quasiment tout inventé. Les vélos light, les vélos aéro, les vélos de chrono, les roues à rayonnage radial, les freins à disque adaptés au vélo de route, les cadres carbone…tout quoi ! Les pseudos innovateurs actuels, ingénieurs ou designers, ne font finalement que décliner façon marketing les innovations introduites par Colnago. Que l’on se souvienne de la première victoire d’un vélo carbone dans Paris Roubaix. C’était un C40. La révolution venait d’arriver. Et le révolutionnaire c’était Ernesto Colnago. Le Maestro ! »
Il y a quelques mois, Gérard Abadie, toujours à l’affut, entend parler d’un possible nouveau chef d’œuvre que Colnago voudrait réaliser pour symboliser le quatre-vingt septième anniversaire de son fondateur. Le Ottanta7, qui deviendra C87. Il prend immédiatement contact avec les représentants de Colnago en France qui à leur tour en parlent à Cambiago.
Les offres d’achat se sont déjà accumulées sur le bureau de Vanni Brambilla et d’Alessandro Colnago. Le gendre et le neveu du Maestro. Le prix du joyau a été fixé à 50.000 euros. Une somme faramineuse en adéquation avec la préciosité et la rareté d’un vélo qui ne sera réalisé qu’à un seul et unique exemplaire. Mais le prix n’est pas un problème dès lors qu’il s’agit d’une machine d’exception destinée à devenir un mythe, à l’instar du dernier vélo du Campionissimo.
« En fait le C87 aurait pu être vendu dix fois, explique Alessandro. Mais nous avons choisi un fidèle parmi les fidèles de la marque. Un vrai collectionneur qui ne va pas acquérir l’Ottanta7 pour ensuite jouer au spéculateur comme cela est déjà arrivé souvent avec les engins exclusifs de nos amis de Ferrari. Ce collectionneur c’est un français. Mais nous ne communiquerons pas son nom. Pas même à toi cher Salvatore. Lui seul pourra le faire un jour, s’il le désire. »
Effectivement, invité à Londres pour la célébration des quatre-vingt-sept ans d’Ernesto, je ne saurai rien de plus. Ni mon ami Ernesto, ni mon ami Alessandro ne dérogeront à leur promesse. Silence sur le nom. Seul le vélo sera de la partie. Présenté à l’assistance par un Ernesto ému entre Giuseppe Saronni et Pipo Pozzato.
Ce n’est que quelques semaines plus tard que Gérard Abadie lui-même prendra contact avec la rédaction de Top Vélo. Nous proposant en toute simplicité, presque en s’excusant, un test exclusif de son Ottanta7. Ce vélo imaginé par Alessandro en étroite complicité avec son grand père. Et monté par ce même grand père en personne avec les outils Campagnolo d’autrefois. À l’ancienne.