La malédiction du Cobra
Riccardo Ricco le Maudit s’est transformé au fil des années de suspension et de doute en Riccardo Ricco le Repenti. Victime expiatoire d’un système absurde réclamant tout aux champions sans jamais leur permettre le moindre écart, victime aussi de l’hypocrisie d’un milieu aussi étroit d’esprit que de vision, décrié par d’anciens coureurs loin d’être exempts de tout reproche (n’est-ce pas monsieur Madiot ?), le fabuleux Cobra s’est peu à peu transformé. Au point d’oublier ses errances de James Dean du peloton et d’adopter le profil bas de ceux qui savent mais n’en peuvent…
Ce nouveau Cobra, désormais clairement engagé dans la dénonciation du système qui l’a broyé, sera présent sur les routes de la Granfondo Luberon Mormoiron le samedi 25 mai. A vélo, mais sans dossard, pour dénoncer à sa manière le fléau du dopage.
2008. Le Cobra dans ses oeuvres sur l’un des cols du Giro. A la manière de son idole Marco Pantani, il sait faire le vide dès lors que la pente s’élève. Avec lui pas de calcul d’apothicaire, attaque maximale dès le premier col sans attendre comme trop souvent aujourd’hui, le dernièr kilomètre. Ses adversaires ont pour noms, Contador, Menchov, Valverde, Bettini, Nibali…
Riccardo Ricco le repenti
Il est toujours aussi mince, ou presque. Mais son visage clair a perdu cette innocence de la jeunesse qui insupportait gravement les barons du peloton, Bettini ou Contador notamment, lors de son irruption glorieuse et romantique sur les pentes les plus rudes de Tirreno Adriatico ou de Milan San Remo. Il était alors considéré comme le plus grand grimpeur depuis l’inoubliable Marco Pantani. Ce Pirate éblouissant qui était son idole et son modèle.
Comme lui il se permettait d’annoncer à l’avance le lieu et l’heure de son attaque. Imposant aux stars un stress qui précipitait immanquablement leur échec. Au mètre près, le Cobra mordait la chaussée et s’envolait irrésistiblement. Qu’il s’agisse d’une étape de montagne du Giro ou du Tour, il s’envolait à des vitesses folles. Faisant le vide et triomphant à la manière de Pantani. Il était sur le point de remporter le Tour de France lorsque tout s’écroula. Le Cobra était emporté par la tourmente, quittant la course entre deux gendarmes. Comme un criminel…
De temps à autres, Riccardo le maudit feuillette son album de photos. Ici dans la Marmolada sur le Giro. Il vient d’attaquer, ses adversaires tentent vainement de réagir sous la conduite du Pistolero, Alberto Contador.
2010. Retour de suspension pour le Cobra, et premières victoires sous ses nouvelles couleurs. Après un court intermède Bianchi, il chevauche désormais un Batavus.
Revenu de suspension, il s’imposera à nouveau de façon spectaculaire dans un mémorable Tour d’Autriche. Trop spectaculaire. Précipitant sa chute au lendemain d’un Grand Prix de La Marseillaise où il se permit une ascension de la Sainte Baume à allure record. Le lendemain, fatigué, il se permit une autotransfusion qui failli l’emporter. Le conduisant aux portes de la mort. Et faisant de lui ce Maudit dont le nom seul donnait le vertige.
Cette fois suspendu pour douze années, la peine de mort pour un athlète, il tentera un moment de se réinventer en s’attaquant à des records d’ascension, hors compétition évidemment. Soutenu par un petit groupe d’amis et de sponsors, dont les marques italiennes ALE et Cipollini, il parviendra à pulvériser le record du fameux Monte Serra, jusqu’alors détenu par Jan Ullrich. Avec en guise de préparation, la Sainte Baume et le Ventoux où il réalisera une grimpée en moins de 58 minutes. Mais où il connaitra sa dernière désillusion. Chutant dans la descente et se retrouvant sérieusement blessé aux services d’urgences de l’hôpital de Carpentras. Ce même hôpital où avait été transporté mourant le malheureux Tom Simpson…
Ce Ricco nouveau, épris de cyclisme héroïque, désireux de servir, attaché à la renaissance de son sport, ouvert au dialogue mais refusant l’hypocrisie, accepte désormais ouvertement de parler de dopage. Enfourchant quelquefois son vélo pour le seul plaisir de grimper un col sans soucis de performance. Ce qu’il fera ce samedi 25 mai à Mormoiron, en toute discrétion mais pas en catimini. Lui aussi, à sa manière romantique, voudra rendre hommage au Campionissimo à qui est dédiée cette première édition de la Granfondo Luberon Mormoiron. Le drame ne fait-il pas partie intégrante de l’histoire du cyclisme ?
Alors imaginons le drame de ce jeune surdoué, grimpeur absolu, pris dans les nasses d’un système sportif absurde qui lui inflige une peine supérieure à celle réservée aux violeurs et aux assassins. Sans aucun espoir de recours. Sans même la satisfaction de pouvoir imaginer un jour revenir pour prouver qu’il est capable de gagner sans artifice. Mais se souvenant trop souvent de ses exploits sur les lacets vertigineux du Stelvio. Au point de songer à la mort comme solution métaphysique à l’ennui.
2014. C’est un Ricco new look qui s’attaque au record du Mont Ventoux. Copyright Mickael Gagne.
Lors d’une de nos rencontres chez lui à Gordes, Hein Verbruggen m’avait dit ouvertement que Ricco avait eu le seul défaut de trop parler. Le « milieu » lui faisant payer tout à la fois son arrogance et son appartenance à un team modeste visé à titre d’exemple. Et l’ex-Président de l’UCI avait même rajouté en souriant, « Saunier Duval ce n’était pas Sky ».
Le grand Thomas Carlyle écrivait que « le héros est celui qui est immuablement centré sur lui-même ». En ce sens Riccardo Ricco a longtemps été un héros. Idolâtré ou détesté. Il n’est désormais qu’un homme retrouvé qui n’aspire qu’à la rédemption par l’amour. Et ce n’est pas si mal. Même si les propositions de contrat s’accumulent encore dans sa boite aux lettres en vue d’une hypothétique fin de suspension. C’est un ami journaliste de la Gazzetta dello Sport qui l’affirme, « Si Nibali et Pozzovivo sont encore des leaders, on peut facilement imaginer le Cobra reprendre son rang dans le peloton. Il les dominait nettement… ».
Avant le départ de sa dernière course pro, le grand prix de la Marseillaise 2011, le Cobra accepte de poser avec un jeune admirateur. Un peu plus tard il déclenchera la foudre dans la montée de Sainte Baume. A l’arrivée, contrôle anti dopping UCI négatif. Ce n’est que le surlendemain, fatigué par six mois d’entrainements et de courses sans coupures hivernale que le Cobra succombera à la tentation d’une autotransfusion de récupération. Perfusion infectée, il se retrouve à l’hôpital dans le coma. En dépit de son obligation de respecter le secret médical, le médecin urgentiste en parlera… On connait la suite. 12 années de suspension c’est à dire : Peine de mort sportive. A titre d’exemple l’assassin de Marie Trintignant, Bertrand Cantat, n’écopera lui que de 8 ans mais il sera remis en liberté au bout de 4 ans ? Vous avez dit absurde ?